La nuit de l’écriture – Décembre 2020
Père Fouettard
de Corynn THYMEUR
Il était une fois un homme qui passait la nuit du 24 au 25 décembre avec Nicolas Père Noël, son compagnon de traîneau. Il s’appelait Jean Père Fouettard. Son rôle se résumait à descendre le premier dans le conduit des cheminées afin que ceux-ci soient bien propres pour que le manteau rouge de son compère, ainsi que sa légendaire barbe blanche, restent toujours immaculés.
Père Fouettard était triste. Toujours sale, condamné à nettoyer les âtres et à s’occuper des enfants méchants pour les punir, on le détestait de partout, quel que soit le nom dont on l’affublait : Hans Trapp, Zwarte Piet, Ruprecht, Krampus, Pelbock ou pire encore, Croque-Mitaine. Il n’avait, en réalité, jamais mangé d’enfant, juste parfois donné un petit coup de fouet à certains garnements qui le méritaient bien. Il aurait tant aimé être Nicolas, le fameux Père Noël que tout le monde attendait !
Un jour de début décembre, il eut une idée. Il prit sa plus belle plume, son parchemin le plus doux, puis il écrivit sa lettre au Père Noël. Il lui assura avoir été toujours bien méchant avec les galopins vilains, et inoffensifs avec les enfants gentils. Il raconta comment il travaillait bien toute l’année à astiquer et cirer son fouet pour qu’il claque et fasse vraiment peur aux chenapans. Fort de ces beaux écrits, il osa demander une Mère Fouettarde comme cadeau de Noël.
Au matin tant attendu, à l’heure où l’Étoile du Berger va se coucher, il s’approcha en tremblant de la botte qu’il avait placée au pied du sapin car il n’y avait pas de cheminée chez lui. En tremblant, il plongea la main dans son houseau de cuir, persuadé que cette année encore il aurait un morceau de charbon. Il sentit des cheveux sous ses doigts. Il tira doucement dessus ; une minuscule tête sortit. Il tira encore et tout le corps d’une femme apparut, joliment drapé de noir. Elle leva un pied pour enjamber le bord de la botte, puis l’autre pied. Elle le regarda silencieusement et d’un seul coup se mit à éternuer encore et encore, trois fois de suite. À chaque éternuement, elle doublait de taille et passa ainsi de vingt centimètres à un mètre soixante en trois petites secondes. Cela parut prodigieux au Père Fouettard, et plus encore que les habits de Mère Fouettarde grandissaient avec elle. Il était heureux ! Elle était laide à faire peur, avec sa peau verdâtre, ses rides et ses pustules sur son nez, ses dents cariées, ses cheveux de paille sèche. Mais elle sentait bon le pain d’épice, et cela ravit son cœur. Elle était parfaite, telle qu’il l’avait rêvée.
Je ne vais pas vous mentir en vous disant qu’ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants, non, ce n’est pas un conte de fées mais un conte de Noël. Ils vécurent certes heureux mais n’eurent qu’un seul fils qu’ils prénommèrent Jean-Balthazar. Ah, j’oubliais ! Mère Fouettarde était frileuse et son époux lui construisit une cheminée pour lui faire plaisir ce qui fait qu’en décembre, il arrangeait son foyer pour recevoir des cadeaux.
Quand il grandit, Balthazar aida son père à fouetter les petits méchants. Les nuits de Noël, ils partaient tous les deux, s’arrêtant pour boire un pichet de vin chaud, nettoyant le conduit des cheminées pour Père Noël, et remettant en place les vauriens. C’était épuisant !
Un soir qu’il avait un peu abusé du vin, Jean-Balthazar se prit les pieds dans le tapis devant un âtre, et réveilla le propriétaire des lieux. Malheureusement, sa cheville était tordue et il ne pouvait fuir l’homme qui s’approchait de lui pour l’assommer d’un tisonnier, le traitant de voleur. Alors qu’il s’apprêtait à mourir, l’homme baissa lentement son bras.
– Vous êtes blessé, mon pauvre garçon, dit-il. Ne bougez pas, je vais de ce pas vous soigner !
– Vous êtes bien brave ! répondit Balthazar rassuré. Ce n’est pourtant pas ce qui est écrit sur ma fiche. Il est écrit « Pierre Durant : menteur, tricheur et violent ».
– Je comprends, mais monsieur Durant est décédé il y a un mois. Je suis le nouveau locataire. Je n’ai pas encore eu le temps de mettre le logement à mon nom de façon officielle. Je m’appelle Jacques. Jacques Lanzmann. Je suis écrivain ; mais là, j’avoue avoir le syndrome de la page blanche.
– Alors, je sais comment vous remercier de votre aide. Je vais vous raconter ce qui m’est arrivé Noël dernier. Voilà, toute la nuit, j’avais aidé mon père à punir les enfants méchants. J’étais épuisé, j’avais froid et suis rentré me mettre devant notre cheminée. Dans mes souliers, il y avait une très belle jeune femme qui dormait. Je l’ai prise dans mes bras pour l’embrasser, mais ça l’a réveillée. Elle m’a repoussée rudement, arguant qu’elle était tombée chez moi par erreur, suite à sa grande fatigue d’avoir aidé son père. Elle voulait parler du Père Noël bien sûr. Imaginez-vous cela, Jacques ? La fille du Père Noël et le fils du Père Fouettard ? Elle s’appelait Marie-Noëlle et je m’appelle Jean-Balthazar ! Notre amour était impossible !
– Alors, demanda Jacques, qu’avez-vous fait ?
– Je lui ai donné une robe de ma mère pour la couvrir et j’ai ouvert la porte de la maison pour qu’elle puisse rentrer chez elle. Pensez-vous que cela ferait un bon roman ?
– Un roman, je ne pense pas, mais une chanson, assurément. J’ai justement mon cher ami Jacques Dutronc qui m’en réclame une. Voilà, j’ai fini mon soin ; votre cheville va mieux. Je vous conseille de rester chez moi tout le reste de la nuit pour la laisser se reposer. Moi, je retourne me coucher, car demain, j’ai beaucoup à faire. À demain !
Quand le brave homme s’éveilla, Jean-Balthazar était parti. Sur le canapé, une feuille l’attendait, avec une chanson ayant pour titre « La fille du Père Noël » et ces quelques mots : « Joyeux Noël Jacques ! » Signé J.-B.