Les chats de L’Arroumîu
Il était une fois un petit village blotti au cœur de la Gascogne, connu du pèlerin sous le nom de L’Arroumîu. Cette histoire se passe en ce lieu béni, il y a fort longtemps, alors que les cloches de la belle abbatiale rythmaient la vie des saisons dans la vicomté de Lomagne.
Une femme, allant travailler sa terre, trouva un jour une petite orpheline du nom de Marie. La fillette se trouvait bien en peine, la paysanne avait le cœur tendre ; elle l’adopta.
Petite Marie était une enfant facile, travailleuse et toujours gaie. Rien ne pouvait lui faire plus plaisir que d’être entourée de chats qui lui rendaient bien l’affection qu’elle leur offrait.
Il arriva qu’un hiver, la froidure fut telle qu’elle gela les terres, les semences et les espoirs des pauvres vilains. Le printemps qui suivit fut si pluvieux qu’il noya jusqu’aux moindres baies sauvages qui poussaient dans les haies, et jusqu’aux lapins, lièvres et autres animaux à poils et à plumes.
Une grande disette s’en suivit : maigreur, famine et désolation régnaient sur tout le pays. Gare aux chiens et aux chats qui finirent en rôtis et en civets agrémentés de quelques racines et de pauvres champignons à moitié véreux.
Atterrée de tant de désolation, mais refusant de sacrifier ses félins, Mariette les cacha dans le grenier, sans rien en dire à personne, de peur qu’on ne les mange. Elle les nourrit comme elle put, et ceux-ci firent des petits.
Trois années de suite, l’hiver fut cruel et le printemps pourri.
Enfin, le ciel redevint clément. Les rares économies miraculeusement sauvées furent déterrées des jardins ou décousues des matelas, pour s’en aller à la ville voisine quérir quelques graines de semences.
Las, trois fois hélas, les souris, mulots et rats, n’ayant plus d’ennemis pour leur donner la chasse, commencèrent à se farcir le ventre, à s’en faire éclater la panse, des belles graines qui ne demandaient pourtant qu’à germer. Encore une fois, les paysans n’auraient rien à manger.
Ils étaient là, à se lamenter et à annoncer leur départ prochain puisque le village semblait maudit, lorsque Marie ouvrit la porte de son grenier. Aussitôt, cabriolant au plaisir de la liberté retrouvée, les chats se jetèrent avec voracité sur les rongeurs malfaisants pour s’en faire un bon dîner.
Et c’est ainsi que Marie, tel un ange, sauva les habitants de L’Arroumîu. Pour tous, elle devint Angeline, et ses chats furent sacrés.
Cette histoire est racontée les froides nuits d’hiver, lorsque la bise glaciale s’accroche aux toits des maisons et que les chats ronronnent de bonheur dans les âtres tièdes des foyers ou sur les genoux des grands-mères. Même de nos jours, alors que le millénaire a changé et que L’Arroumîu est devenu La Romieu, nul ne fait du mal à un chat dans cette jolie petite bourgade.
Si d’aventure vous allez vous promener du côté de La Romieu, ne vous étonnez pas de trouver des félins partout aux seuils des maisons, aux bordures des fenêtres, aux branches des arbres : ils sont les anges protecteurs du village, les anges d’Angeline.